Sur les traces des sorcières en Pays de Bruche
- Lavoyageusebruchoise
- 9 août 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 janv.
La période de l'Inquisition marque l'une des époques les plus sombres de l'Histoire, caractérisée par la chasse aux sorcières qui a semé la terreur et la méfiance dans de nombreuses régions. En pays de Bruche, comme ailleurs en France, cette période a été particulièrement marquante. Le territoire a été le théâtre de nombreux procès en sorcellerie, influencés par des ouvrages et des croyances qui se sont répandus à travers l'Europe.
L'Inquisition, initialement établie pour combattre l'hérésie, s'est rapidement étendue à la persécution des sorcières. Les inquisitions médiévales, puis l'Inquisition espagnole et romaine, ont créé un climat de peur où toute déviation religieuse ou comportement suspect pouvait mener à des accusations de sorcellerie. En Alsace, cette peur s'est intensifiée avec la publication du "Malleus Maleficarum" ou "Le Marteau des Sorcières", un manuel de chasse aux sorcières, écrit à Sélestat. Ce livre a largement contribué à la systématisation des procès et à la justification de la torture pour obtenir des aveux.
Le pays de Bruche, avec ses forêts denses et ses villages isolés, semblait être un terrain fertile pour ces chasses. Des rumeurs de sabbats nocturnes, de sorts jetés et de pactes diaboliques se répandaient rapidement, alimentées par la superstition et la peur. Les femmes, souvent des guérisseuses ou des marginales, étaient les premières victimes de cette hystérie collective. Ma propre aïeule, Barbe Bernard, née le 11 janvier 1570 à Schirmeck et décédée en janvier 1621 au Ban de la Roche, fut accusée de sorcellerie. Son histoire, comme celle de tant d'autres, est un rappel poignant des injustices et des souffrances infligées pendant cette période, notamment aux femmes.
L'étude des procès de sorcellerie au pays de Bruche révèle non seulement les mécanismes de la persécution mais aussi l'impact durable de ces événements sur la culture et l'identité de la région. En suivant les traces des sorcières en Pays de Bruche, pars à la découverte d’une histoire fascinante mais douloureuse, faite de croyances, de peurs et de résistances.

Malleus Maleficarum
Le "Malleus Maleficarum" ou "Le Marteau des Sorcières" est un traité écrit par deux inquisiteurs dominicains, Heinrich Kramer et Jacob Sprenger, publié pour la première fois en 1487. Ce manuel est devenu l'une des références principales pour la chasse aux sorcières en Europe. Son influence s'étendait particulièrement en Alsace, où il a été rédigé, et où il a servi de guide pour les autorités locales dans leur lutte contre la sorcellerie.
Le "Malleus Maleficarum" décrit en détail les méthodes pour identifier, interroger et punir les sorcières. Il justifie l'usage de la torture et de la peine de mort, considérant ces pratiques comme nécessaires pour extirper le mal de la société. Le livre combine des éléments de théologie, de droit et de folklore, formant ainsi une arme redoutable contre ceux qui étaient accusés de sorcellerie.
Le livre est structuré en trois parties :
La première partie traite de la réalité de la sorcellerie et de ses dangers pour la société chrétienne. Elle discute la nature du mal, le pacte avec le diable et les pouvoirs attribués aux sorcières.
La deuxième partie fournit des instructions détaillées sur la reconnaissance des sorcières et des sorciers. Elle décrit les signes et comportements suspects, ainsi que les méthodes pour découvrir et prouver les actes de sorcellerie.
La troisième partie explique les procédures judiciaires spécifiques à suivre pour juger les accusés de sorcellerie. Elle inclut des recommandations sur l'interrogatoire, y compris l'utilisation de la torture, et sur la sentence à appliquer.
En Alsace, l'impact de ce manuel a été immédiat et dévastateur. Les procès se multiplient, et les méthodes décrites dans le "Malleus Maleficarum" sont appliquées avec zèle. À Sélestat et dans les environs, des femmes et parfois des hommes sont arrêtés, interrogés sous la torture et souvent exécutés. Les accusations varient, allant de la participation à des sabbats diaboliques à l'usage de maléfices pour nuire à leurs voisins.
Le livre devient une sorte de bible pour les chasseurs de sorcières, leur fournissant une justification théologique et légale pour leurs actions. Il nourrit la paranoïa collective et permet aux autorités d'exercer un contrôle rigide sur la population. Les dénonciations se multiplient, souvent motivées par des rivalités personnelles ou des conflits locaux. La peur de la sorcellerie devient omniprésente, et la simple accusation suffit à déclencher une cascade de malheurs pour les accusés.
La ville de Sélestat, aujourd'hui connue pour son riche patrimoine historique et culturel, porte encore les traces de cette sombre période. Les archives et les musées locaux conservent des documents et des objets liés aux procès de sorcellerie, offrant un témoignage poignant de cette époque.

Déroulement d'un procès de sorcellerie
Les procès de sorcellerie au Ban de la Roche, comme ailleurs en Europe, suivaient un schéma bien établi, marqué par la peur, la superstition et la violence. L'accusation de sorcellerie pouvait surgir de simples rumeurs ou de dénonciations malveillantes. Les individus accusés étaient souvent des femmes marginalisées ou simplement différentes, bien que des hommes pouvaient également être pris dans ces filets judiciaires. Les dénonciations étaient fréquemment motivées par des conflits personnels, des jalousies ou des rivalités locales, exacerbant un climat de méfiance et de suspicion.
Le processus débutait généralement par une accusation formelle, souvent basée sur des témoignages fragiles ou des preuves circonstancielles. Les accusés étaient alors arrêtés et emprisonnés dans des conditions souvent déplorables, en attendant leur interrogatoire. Les prisons de l'époque étaient insalubres et surpeuplées, ajoutant à la détresse des détenus.
L'interrogatoire était une étape cruciale, souvent accompagnée de torture pour extorquer des aveux. Les instruments de torture utilisés étaient nombreux et variés, allant de l'étirement sur le chevalet aux brodequins écrasant les pieds, en passant par la privation de sommeil. Ces tortures, bien que cruelles, étaient considérées comme des moyens légitimes de découvrir la vérité. Les aveux obtenus sous la torture étaient souvent incohérents et fantaisistes, mais suffisaient à condamner les accusés. Sous la douleur intense, les accusés étaient souvent prêts à dire ce que leurs inquisiteurs voulaient entendre et avouaient des crimes imaginaires.
La confession était perçue comme une preuve irréfutable de culpabilité, et les accusés étaient souvent obligés de dénoncer d'autres prétendus sorciers, créant ainsi une spirale de suspicion et de violence. Cette dynamique de dénonciation mutuelle alimentait la paranoïa collective et permettait aux autorités de justifier des persécutions toujours plus larges. Les procès se terminaient souvent par des condamnations à mort, les exécutions publiques servant à renforcer l'ordre social et à dissuader les comportements déviants. Ces exécutions, souvent par pendaison ou bûcher, étaient des spectacles macabres auxquels assistait une population terrorisée mais fascinée.
Les procès de sorcellerie au Ban de la Roche sont un triste rappel des excès de la superstition et du pouvoir arbitraire. Ils illustrent comment la peur et l'ignorance peuvent conduire à des injustices massives et à la destruction de vies innocentes.

Les procès au Ban de la Roche
En 1620 et 1621, les procès de sorcellerie au Ban de la Roche ont atteint un paroxysme, emportant au moins 53 victimes sur une population d'environ 1 200 personnes, en raison de la prospérité minière. Les archives de Strasbourg listent 48 paragraphes, certains concernant des couples, totalisant 53 victimes, bien que ce chiffre soit un minimum. Nicolas Milan, impliqué dans les exécutions, rapporte 70 innocents exécutés.
Le Comte palatin Georges Gustave de Veldenz, fils de Georges-Jean de Veldenz, détenait le droit de Haute Justice. Le tribunal comprenait deux juristes de Strasbourg, Stamm et Kripschild, et les pasteurs Jean Nicolas Marmet et Hector Gsandry. La torture était couramment utilisée lors des interrogatoires, et les aveux étaient souvent forcés, bien que parfois précédés de l'expression « Elle a librement et volontairement confessé que... », indiquant que la torture avait été momentanément suspendue. Le bourreau, Meister Bernhardt, facturait 228 florins pour 20 exécutions, aidé par quatre hommes dont Nicolas Milan.
Les victimes étaient souvent pauvres et il est à noter qu’environ un tiers étaient des hommes. Les dénonciations étaient rares malgré la torture, et certaines confessions ne mentionnaient que des morts ou des êtres surnaturels. Les accusations comprenaient des empoisonnements supposés, l'application de graisses provoquant des maladies, la participation au sabbat qui se tenait au lieu-dit Le Chesnoy, des relations charnelles avec des diables, l'usage magique de l'hostie, le déterrement de cadavres d'enfants non baptisés, et des meurtres rituels d'enfants pour en tirer des graisses empoisonnées.
La durée d’une procédure pour crime de sorcellerie était généralement assez courte : entre l’accusation et l’exécution, il ne s’écoulait souvent que quelques mois. Par exemple, Catherine Herry, l’une des personnes exécutées au Ban de la Roche, fut informée de son accusation le 3 juin 1616 et exécutée le 20 octobre de la même année. (Source : Essor N°122 - Article de M. Marc Brignon)
Les exécutions publiques avaient lieu au Col de la Perheux. Elles servaient à renforcer l'ordre social et à dissuader les comportements déviants. Elles étaient souvent accompagnées de cérémonies religieuses, destinées à purifier la communauté du mal supposé. La population, prise dans cette hystérie collective, assistait à ces spectacles macabres, convaincue de la nécessité de ces purges. Il est à noter que l’exécution était financé par la victime elle-même puisque l’argent provenait de la vente de ses biens personnels. Les procès de sorcellerie se calment dans les années 1630.
Les archives du Ban de la Roche témoignent de l'ampleur de ces persécutions. Des femmes comme Anna Thorel et Barbe Weichert, accusées de sorcellerie, ont été soumises à des tortures et exécutées. Ma propre aïeule, Barbe Bernard, n’a pas échappé à cette sombre destinée, elle aussi victime de ces procès injustes. Son histoire, marquée par la douleur et l'injustice, est un rappel poignant des excès de cette période.

Rendre hommage à nos sorcières
La région de la Bruche, consciente de son passé tumultueux, a mis en place plusieurs initiatives pour honorer la mémoire des victimes de la chasse aux sorcières et sensibiliser à l'importance de la tolérance et de la justice. Parmi ces initiatives, la randonnée, proposé par l’office du tourisme, au pays des Haxes et la Marche nocturne des Haxes, organisé par le comité des fêtes de Belmont au mois de septembre, occupent une place de choix.
La randonnée au pays des Haxes, détaillée sur le site Visorando, offre aux visiteurs une opportunité unique de découvrir les paysages de la vallée de la Bruche tout en explorant son histoire sombre. Ce parcours de 9 km, avec un dénivelé positif de 340 mètres, traverse des forêts et des villages pittoresques, offrant des points de vue magnifiques sur la région. Le départ de la randonnée se fait depuis le parking de la station de ski de la Serva. En chemin, on traverse des forêts denses où les histoires de sabbats nocturnes et de pactes diaboliques semblent encore résonner. Le sentier continue ensuite vers l'ancienne carrière, un lieu chargé de récits de sorts et de malédictions. La montée vers le Col de la Perheux offre une vue imprenable sur la vallée, rappelant les nombreuses exécutions publiques qui y ont eu lieu. Cette belle randonnée une façon immersive de se plonger dans le passé, en marchant sur les traces de celles et ceux qui ont souffert de l'injustice et de la superstition. Cette randonnée est non seulement une expérience historique et culturelle, mais aussi une belle occasion de profiter de la nature et des paysages enchanteurs de la vallée de la Bruche.
La Marche des Haxes, quant à elle, est une randonnée nocturne organisée, une fois par an, à Belmont. Cette marche, qui se déroule sous la lueur des étoiles et des lanternes, recrée l'ambiance mystérieuse et parfois effrayante des nuits d'autrefois. Les participants suivent un itinéraire ponctué de contes et de légendes locales, racontés par des habitants passionnés. Le parcours de la randonnée, soigneusement élaboré, conduit les marcheurs à travers des sentiers forestiers et des clairières, où l'obscurité et les ombres ajoutent une dimension mystique à l'expérience. Les histoires racontée, souvent issues du folklore local, évoquent des sabbats nocturnes, des sorts jetés, et des pactes diaboliques, créant une atmosphère à la fois fascinante et inquiétante. La randonnée se termine souvent par un moment convivial autour d'un chouette repas. En 2024, la Marche des Haxes aura lieu le 21 septembre 2024, à partir de 19h. N'oublie pas de te munir de bonnes chaussures de marche, d'une polaire ou d'un K-Way selon la météo, ainsi que d'une lampe frontale.
Ces initiatives ne sont pas seulement des activités touristiques, mais aussi des actes de mémoire collective. Elles rappellent les dangers de la superstition et de la persécution, et encouragent à la réflexion sur les erreurs du passé. Si tu souhaites approfondir ta compréhension de cette période, je te conseille de lire le tristement célèbre Marteau des Sorcière ou Confessions d’un chasseur de sorcières d’Alexis Metzinger (que j’ai adoré). Ce dernier livre retrace un procès de sorcellerie à Schirmeck en 1633. Il y a aussi d’excellents articles sur le sujet dans les magazines “L’Essor” N° 120, 121 et 122, parus entre octobre 1983 et mars 1984.

La vallée de la Bruche, avec son histoire riche et tumultueuse, nous offre une fenêtre fascinante sur une époque marquée par la peur et la persécution. En suivant les traces des sorcières et en explorant les procès de sorcellerie qui ont eu lieu dans la région, nous plongeons dans un passé sombre mais essentiel pour comprendre les mécanismes de la superstition et de l'injustice. A mon sens, les initiatives locales permettent de rendre hommage aux victimes et de sensibiliser à l'importance de la tolérance et de la justice. En nous souvenant des erreurs du passé, nous pouvons espérer construire un avenir plus éclairé et tolérant.
🗨️ Que sais-tu des procès de sorcellerie au Ban de la Roche ?
[Mise à jour : Août 2024]
Je suis moi-même une descendante de Barbe Bernard et votre article m'a beaucoup plu. Cela nous donne envie de visiter votre région
Christine GRANER
Je suis tombée sur votre article qui est passionnant, moi même descendante de Barbe BERNARD
merci pour votre passion de votre région
Maryse BASTIEN